par Aline Gross le 08-03-2022 à 16:13
Aujourd’hui, mardi 8 mars 2022, c’est la journée internationale des droits des femmes. Qu’en est-il des droits des femmes en situation de handicap ? On fait le point.
Être une femme en situation de handicap, c’est être exposée aux discriminations sexistes liées au genre, ainsi qu’aux discriminations validistes liées au handicap. Un système de double inégalité qui a de lourdes répercussions sur les droits des femmes en situation de handicap dans notre société.
“En France, les problématiques spécifiques des femmes en situation de handicap sont les grandes oubliées des politiques publiques”
APF France Handicap, dans son Plaidoyer “Femmes en situation de handicap“
Au-delà, force est de constater une certaine “asexualisation” de la lutte pour les droits des personnes en situation de handicap, c’est-à-dire que l’on ne fait pas de distinction entre les genres en luttant pour des “personnes”. Cela a pour conséquence d’invisibiliser les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap en matière de droits.
La considération de la dimension du handicap dans les droits des femmes a également été plus tardive que la considération des droits des femmes en général.
La Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes date de 1979 ne fait ainsi pas mention de la dimension du handicap. Il faudra attendre la Déclaration des Nations unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes en 1993 pour sa prise en compte.
C’est à partir de 2006 avec la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées que l’intersectionnalité, c’est-à-dire le cumul des discriminations auxquelles font face les femmes en situation de handicap, est reconnue.
Selon l’APF dans son plaidoyer sur le sujet, on distingue 9 discriminations clés permettant de saisir les problématiques auxquelles doivent se confronter les femmes en situation de handicap au quotidien.
Tout d’abord, l’injonction à la beauté dans une société qui prédétermine quel corps est parfait et désirable ou non. Cela a un impact dans le regard que la société porte sur leur corps et leur sexualité mais également dans le regard qu’elles portent elles-mêmes sur leur corps et leur sexualité.
On les considère soit comme “asexués”, soit comme pas assez sexuées et donc incapables de combler les désirs de l’autre. Pire, elles sont parfois considérées comme de simples objets sexuels et peuvent être victimes de violence.
Cette fausse croyance amène certaines femmes en situation de handicap à douter de la possibilité d’avoir une vie affective et sexuelle ou encore de leur désir de maternité.
“Pour beaucoup dans la société, quand on a un handicap, nous n’aspirons pas à une vie de couple ou alors nous ne sommes pas en droit / ou capable de rendre heureux quelqu’un.”
Justine, 19 ans, atteinte d’une déficience physique de naissance (source)
Les inégalités entre les hommes et les femmes se manifestent également durant le parcours scolaire (stéréotypes de genre, orientation vers des formations genrées, etc.). Si les femmes réussissent statistiquement mieux leurs études que les hommes, les femmes en situation de handicap ont un taux de réussite inférieur à celui des femmes en général selon l’APF.
Les causes sont nombreuses et, au-delà des inégalités de genre, les inégalités du fait du handicap semblent être accentuées dans le milieu scolaire. Ce du fait du manque d’accessibilité des ressources et des espaces scolaires, de l’inadaptation et du manque d’aménagement des épreuves, de sanctions plus ou moins importantes liées aux absences du fait de l’état de santé, de la stigmatisation ou encore du rejet.
Si les femmes en situation de handicap sont plus diplômées que les hommes en situation de handicap, elles ont un taux d’inactivité supérieure à celui des hommes. Quand elles travaillent, elles sont davantage concernées par le “sous-emploi”, comme le temps partiel ou le chômage technique, et donc précarisées.
Selon l’APF, cela s’explique par un accès restreint à la formation professionnelle et à l’emploi du fait du handicap et du genre. Les secteurs qui recrutent des travailleurs handicapés sont des secteurs dits “masculins” comme l’informatique ou le commerce. Les femmes en situation de handicap sont perçues moins “capables”, moins “rentables” et plus “vulnérables” que les hommes en situation de handicap.
“Lorsque je me présente à des rendez-vous d’embauche… Un jour un recruteur m’a dit : “Avec une femme ce n’est déjà pas facile mais si en plus elle est en fauteuil on n’a pas fini.”
X., 46 ans, atteinte d’une déficience physique (source)
Davantage touchées par la précarité, une grande partie des femmes en situation de handicap dispose de faibles ressources, parfois sous le seuil de pauvreté.
Comme l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) dépend des revenus du conjoint, celle-ci peut se voir réduite voire supprimée. Cela implique soit une dépendance financière qui peut engendrer des violences, soit l’impossibilité de vivre officiellement en couple, ce qui est dans les deux cas inadmissible. Cliquez ici pour lire notre article sur ce sujet édifiant.
Si le manque d’aides humaines et techniques ne concernent pas que les femmes en situation de handicap mais aussi les hommes, cela vient s’ajouter aux difficultés précitées qui touchent moins les hommes. Cela peut engendrer un accroissement de la précarité voire de la dépendance.
De plus, force est de constater l’absence de prise en charge de certaines aides concernant des tâches considérées comme “féminines” comme le ménage ou la parentalité.
“N’ayant pas d’aide humaine autorisée, la moindre crise me rend dépendante du bon vouloir de mon entourage pour tout ce que je ne peux pas faire et leur réponse est bien trop souvent “Reviens à la maison ou trouve toi un compagnon il pourra aider lui” comme si on se mettait en couple pour avoir une aide à domicile.”
X., 35 ans atteinte d’une déficience physique (source)
Les personnes en situation de handicap se confrontent au manque d’accessibilité et d’adaptation des établissements et du matériel de soins ainsi qu’au manque de formation des personnels pour leur prise en charge. Pourtant, l’accès aux soins et la prévention constituent des facteurs cruciaux à la santé des femmes et des hommes en situation de handicap.
En parallèle, comme pour les femmes en général, les femmes en situation de handicap peuvent avoir à faire face à des maltraitances voire à des violences de la part des professionnels de santé, comme les violences gynécologiques par exemple. On constate que certaines renoncent carrément aux soins et peuvent ainsi mettre leur santé en danger.
“J’ai mis 3 ans à trouver un gynécologue qui n’avait pas un discours eugénique. Et qui a accepté de m’expliquer les risques, pour moi, pour l’éventuel bébé.”
X., 25 ans, atteinte de déficiences physique, sensorielle et psychique depuis l’âge de 17 ans (source)
En France, 4 femmes en situation de handicap sur 5 sont victimes de violences.
34 % des femmes en situation de handicap ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % des femmes dites valides.
61 % des femmes en situation de handicap victimes de violences ont été victimes de harcèlement sexuel, contre 54 % des femmes dites valides.
Sources : Femmes pour le dire, femmes pour agir et l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Que ce soit des violences verbales, psychologiques, financières, physiques et sexuelles, les femmes en situation de handicap peuvent subir des violences dans leur foyer mais aussi à l’école, dans le milieu médical, dans la rue ou encore au travers du regard que la société porte sur elle.
À cela s’ajoute la difficulté de porter plainte et de se faire entendre par la justice. Un point que les associations luttant pour les droits des femmes en général dénoncent depuis longtemps : le fait de ne pas être crue, d’être infantilisée et pas prise au sérieux au moment de porter de porter plainte pour un cas de violence. Pour les femmes en situation de handicap, le manque d’accessibilité des locaux de police et de justice ainsi que le manque de formation des personnels de police et de justice ajoutent une difficulté supplémentaire.
“Plusieurs hommes ont profité de mon handicap pour abuser de moi. Dans le cadre de la justice, être en situation de handicap psychique rend “moins crédible” une plainte pour violence.”
X., 30 ans, attente de déficiences physique, sensorielle et psychique depuis l’âge de 27 ans (source)
Dans son plaidoyer, l’APF dénonce une “loi du silence” concernant la situation des femmes en situation de handicap en institution.
Les femmes handicapées en institution vivent potentiellement les mêmes difficultés que les femmes en situation de handicap ne vivant pas en institution. On constate cependant des différences d’accès à la prévention et à la santé du fait d’une difficulté plus accrue à la réalisation des soins pour les femmes présentant des troubles importants.
Pouvez-vous citer une femme en situation de handicap médiatisée ? Un autre problème constaté pour les femmes en situation de handicap par l’APF se reflète dans l’absence d’homologues médiatisées auxquelles se référer voire s’identifier.
3/4 des répondantes de l’enquête APF France estiment que les femmes en situation de handicap ne sont pas suffisamment représentées par rapport aux hommes en situation de handicap dans les médias, dans les instances de décisions et dans les organismes de représentation de personnes handicapées.
Source : APF France Handicap, Plaidoyer “Femmes en situation de handicap“
Nous savons déjà que les femmes en général sont moins représentées que les hommes : seul 36% des personnes qui prennent la parole à l’écran sont des femmes. Tout comme nous savons déjà que les personnes en situation de handicap apparaissent très peu dans les médias : 0,7% pour être exact, et ce sont globalement des hommes blancs.
Une nouvelle fois, une double discrimination affecte les femmes en situation de handicap. Et cela a pour conséquence des phénomènes d’autocensure selon le Défenseur des Droits.
Le constat est clair : il est temps d’agir pour changer les choses et garantir les droits des femmes en situation de handicap.
Tout d’abord, une approche intersectionnelle et genrée doit se développer dans les études sur le handicap afin de mieux saisir les problématiques rencontrées par les femmes en situation de handicap. Les politiques publiques en faveur des droits des femmes doivent prendre en compte la dimension du handicap.
Ensuite, il faut tout mettre en œuvre pour garantir l’inclusion des personnes en situation de handicap dans notre société. Les préjugés, le manque d’accessibilité physique et numérique, de connaissance et de formations sur le handicap (notamment chez les personnels du médical et de la justice) et le manque de représentativité font trop souvent pencher la balance du mauvais côté.
À titre d’exemple, c’cité produit avec la Filière SENSGENE et la Fédération des Aveugles de France des vidéos sur l’accueil des personnes en situation de handicap à l’hôpital pour les personnels soignants. Une nouvelle vidéo sur l’accueil aux urgences est d’ailleurs en cours de production. Ces vidéos sont ensuite utilisées dans le cadre de sensibilisation et sont transmises aux personnels médicaux.
Dans le cas précis des femmes en situation de handicap, la lutte contre le sexisme joue également un rôle clé. Il est grand temps que toutes les femmes, en situation de handicap ou non, puissent bénéficier des mêmes droits que leurs homologues masculins.
En ce sens, un renforcement et un développement des dispositifs d’accompagnements sont nécessaires. On peut prendre l’exemple des solutions d’accueil d’urgence et d’accompagnement pour les femmes en situation de handicap victimes de violences. Ces dispositifs doivent être accessibles et adaptés aux femmes en situation de handicap.
Il en va de même dans le domaine de l’emploi pour soutenir les femmes en situation de handicap à accéder des formations afin de favoriser leurs évolutions professionnelles ou encore pour inciter les entreprises à embaucher davantage de personnes en situation de handicap, notamment les femmes.
De plus, certains dispositifs d’aide sont défaillants ou manquants. Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, la déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) ferait 196 000 gagnantes et gagnants contre 44 000 perdantes et perdants. Les conséquences négatives d’une AAH conjugalisée ne sont plus à démontrer et ont un certain impact sur la précarité et la dépendance auxquels font face aujourd’hui de nombreuses femmes en situation de handicap.
A contrario, l’Etat pourrait mettre en place de nouvelles aides, notamment pour le ménage, la parentalité ou encore les surcoûts liés aux aides humaines et techniques ou aux aménagements.
La lutte pour l’effectivité des droits des femmes en situation de handicap continue. Chacune et chacun peut agir à son échelle pour changer les choses. Voici quelques exemples :
c’cité (nouveau nom de la Fédération des Aveugles Alsace Lorraine Grand Est) se tient à votre disposition pour toute demande par téléphone au 03 88 36 03 77 ou par mail à l’adresse contact@ccite.fr !
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
Poster un commentaire